Pierre de Tournai, peinture, béton, gravier
Hauteur 0,70 m, Longueur 14,64 m, largeur 2,44 m
1984
Dépôt de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Les installations de Daniel Dutrieux peuvent toujours être expérimentées de multiples manières – la vue, le toucher, le temps de la promenade, l’imagination, les savoirs … -, qui toutes contribuent à leur intelligence. Ici, nous appréhendons d’abord une allée de pierres levées, disposées rigoureusement sur trois axes longitudinaux parallèles et en douze groupes. Bien que d’apparence brute, ces cailloux sont tous d’une hauteur approchante et partiellement peints de bleu outremer; certains sont tronqués avec netteté. Dans l’alignement sont aussi disposées des dalles.
La sculpture est installée sur une plate-forme surélevée dont la nudité contraste avec la masse des arbres qui l’environnent immédiatement. La matière rugueuse est parfois opposée aux troncatures lisses, le gris naturel du calcaire avoisine la peinture bleue, la pierre brute se discipline dans ses alignements, l’espace net de la terrasse s’inscrit dans la forêt environnante, et notre imaginaire élabore le dialogue de la nature et de l’artifice, mis en scène côte à côte. La dispositon des pierres dressées – lointaine réminiscence – suggère un langage, appelle une interprétation. Mais il faut être averti pour savoir qu’elles écrivent en Braille les mots “pierre bleue”, tandis que les dalles et les troncatures de pierres se lisent “gris nuage” : nous sommes ici de ceux qui ont des yeux mais ne voient point la langue des aveugles. En outre, l’association de ces mots est partiellement contredite par l’oeuvre : les pierres grises sont peintes en bleu; avec le temps, cette couleur sera lavée par la pluie et le gris virera lui aussi vers le blanc. Associant images et langage, Dutrieux se joue de leurs contradictions pour en faire jaillir des étincelles de poésie, à la façon de René Magritte, à qui cette sculpture est dédiée.
La présente installation est en effet un modèle, à l’échelle 1/3 environ, du monument que Dutrieux installa dans un parc à Lessines, ville natale du peintre surréaliste, en double hommage à sa mémoire et à celle de Louis Braille. L’association de deux hommes célèbres joue une variation inédite sur le thème de la trahison des images, paradoxalement vécue à la fois par le non-voyant et par le peintre (le voyant ?), dont on se rappelle le portrait photographique aux yeux fermés. Leur rencontre nous libère encore d’un cloisonnement auquel l’habitude nous a rendu aveugles, celui du culturel et du social.
Le titre se réfère précisément au tableau de Magritte Les idées claires, où un nuage et une pierre grise flottent sur un fond de ciel de mer. En choisissant un esplanade surélevée, Dutrieux n’a pas seulement installé ses pierres entre architecture et forêt, mais aussi entre la terre et le ciel, qui les appelle.
Yves Randaxhe